Le but dans ma vie, c’est de gagner en sagesse. Je pense que c’est la meilleure stratégie pour être heureux, même quand j’aurai 90 ans et que je ne pourrai plus marcher ou si un jour je suis ruiné et à la rue. C’est pour ça que je passe une bonne partie de mon temps à lire : de nombreux penseurs ont condensé toute leur expérience dans quelques centaines de page, et cette expérience est inestimable. Il n’y a pas de moyen plus dense pour une personne de transmettre tout son savoir à une autre personne que par l’écriture.
Et, de ce que j’ai lu, ma première leçon de vie – la plus importante – pour gagner en sérénité c’est :
RIEN N’EST GRAVE.
Cette phrase, j’essaie de l’implémenter tous les jours. De ce que j’ai lu, les stoïciens, les chercheurs en psychologie positive et les bouddhistes encouragent aussi à vivre selon ce principe.
Comment ça?
Ici par rien n’est grave, je veux dire – comme les bouddhistes – qu’il ne faut être attaché à rien. L’attachement est source de souffrance. Souvent ce principe est mal interprété : on comprend qu’il faut devenir Spock, ne ressentir aucune émotion et aucune forme d’amour. Alors que, n’être attaché à rien, c’est justement permettre l’opposé. Comme le dit Sénèque : “la possession ne plaît qu’autant qu’on s’est préparé d’avance à la perte”. Si je ressens un besoin de passer du temps avec mes amis (attachement), alors : s’il ne veulent pas de moi je suis déçu, et quand je suis avec eux, mon besoin est satisfait. Si je passe du temps avec mes amis alors que je n’en ressens pas le besoin (besoin de divertissement, besoin de reconnaissance, besoin de boire un coup, peu importe), alors je suis plus serein. Et je peux me concentrer pleinement sur le moment présent, sans être diverti par d’autres pensées.
Un événement, en soit, n’est jamais “grave”. Comme le dit si bien Don Draper dans l’incroyable série Mad Men : l’univers est indifférent. Ce qui rend un événement grave, c’est juste notre interprétation de l’événement et notre réaction.
J’adore cette loi, et la méditer quotidiennement m’en a beaucoup appris sur moi-même. Évidemment je trouve encore pas mal de choses graves. Mais si je trouve que quelque chose est grave, alors je dois essayer de changer ce ressentiment. Pas la chose.
Voici ma hiérarchie des choses dans la vie que l’on trouve grave mais qu’on ne devrait pas trouver grave (du plus simple au plus compliqué à ne pas trouver grave):
– le bullshit de la vie quotidienne ;
– les injustices, les problèmes plus graves et la douleur ;
– les événements vraiment graves de la vie ;
– la mort, y compris la sienne (cas particulier du précédent qui mérite une section entière).
Niveau I : le bullshit irritant
Ce que je vais présenter là va peut-être paraître évident aux yeux de mes formidables lecteurs.
Le premier point c’est les petits imprévus de la vie : renverser sa tasse de café, rater son bus, des événements de l’actu… Ces événements ne sont absolument pas graves, et ils ne méritent pas la moindre émotion négative de notre part. Ce sont des occasions parfaites de s’exercer à ne ressentir aucune émotion négative. Je recommanderais à n’importe qui d’être particulièrement vigilant à cela : quand êtes-vous irrités par des petites choses du quotidien ? Essayez de vous remémorer les dernières fois où cela s’est produit, pour anticiper les prochaines occurrences. Ensuite, quand vous vous surprenez à être irrité par une petite chose, célébrez! Vous avez remarqué une fois où vous avez été contrarié alors que c’était inutile et même nuisible. La première étape pour ne plus être contrarié.
C’est claire que pour les petites contrariétés de la vie : il est strictement moins rentable de s’énerver que de rester calme. Mais mon message est le suivant : quelque soit la situation, être attaché est en tous points moins bénéfique qu’être détaché.
Niveau II : Les problèmes plus graves, la douleur et les injustices
a) Les événements un peu graves
J’en ai parlé dans mon article précédent (pas assez à mes yeux). Pour développer sa faculté à rester serein, je pratique la visualisation négative détaillées. Il y a 5 minutes j’en ai fait une par réflexe : je me suis imaginé en train de renverser ma tasse de thé sur mon PC portable. L’ordi meurt sur le coup, mais ce n’est pas grave.
Le but de ces visualisations, c’est de faire tout le cheminement des “problèmes” qui vont apparaître. Parce qu’il y a forcément un moment où tout ira mieux. Et parfois les problèmes créent même de bonnes choses :
– mon ordinateur se casse. Super : comme je n’ai plus de smartphone, ce sera enfin un belle occasion de me couper vraiment d’Internet et de lire. Je me rachèterai un ordi un jour ou l’autre, mais en attendant c’est une vraie bouffée d’air.
– le camp scout que je devais organiser est annulé. J’ai deux semaines de vacances qui apparaissent spontanément dans mon agenda cet été.
– je perds tout mon argent. En priorité je trouve un peu d’argent pour pouvoir survivre (un ami m’avance, je vends mes affaires, je vends ma copine…) et puis je flip des burgers au Macdo pendant quelques mois le temps d’apprendre à vivre avec encore moins d’argent. Au moins c’est un travail sans responsabilité, je n’aurai aucune pression en dehors de mes horaires de travail (pas comme une thèse). Je vais découvrir une autre vie.
Au final, quelque soit le problème, je suis encore en vie. J’ai toujours un millier de choses possibles à faire. Si je perds du matériel je peux travailler mon ascétisme. Si je perds mon emploi j’aurai plus de temps pour mes amis. Si je perds mes amis, je peux toujours donner mon temps et m’épanouir dans le monde associatif.
La seule source de souffrance, c’est l’attachement que je ressentais envers la chose que j’ai perdue. Mais cet attachement, c’est une construction de mon esprit, et c’est ma responsabilité d’apprendre à relativiser.
Ne plus être attaché c’est être libre. Par exemple, être riche (à mes yeux) c’est simplement pouvoir vivre avec moins d’argent que ce que l’on gagne. Donc si j’aime une vie de pauvre, d’ascète, alors j’ai besoin de peu d’argent pour être riche.
b) Les injustices
Il est peut-être plus difficile pour moi d’être détaché des injustices qui prennent pour moi deux formes : celles qui nous concernent et celles qui ne nous concernent pas.
Celles qui nous concernent sont le fruit ce notre attachement à notre ego. Quand je suis vexé, quand j’ai peur d’avoir l’air ridicule, quand je m’énerve parce qu’un inconnu m’insulte… En vérité, ce n’est pas grave. C’est simplement parce que je suis attaché à l’image que j’ai de moi que je réagis mal.
Mais cette image, de toute façon, est fausse. Les cogniticiens appellent cela l’effet “spotlight” : les humains pensent être le héros du monde qui les entoure. Les gens pensent être des meilleurs conducteurs que la moyenne, plus beaux que la moyenne, plus intelligents que la moyenne… On pense même – et c’est le comble – être moins victime de biais cognitifs que la moyenne!
Donc globalement, je pense qu’il est important d’apprendre à déceler quand son propre ego est blessé, et d’apprendre à donner moins d’importance à cet ego : si l’on se donne moins d’importance à soi-même, alors on vit plus sereinement.
Pour les injustices dans le monde, c’est une autre affaire : on peut être révolté et scandalisé par les inégalités dans le monde, la détérioration de notre planète, par les fainéants qui parasitent la société, par les impôts…
Peu importe : ces principes ne doivent par provoquer de réaction négative de notre part. Comme je l’ai déjà dit auparavant, le Dalaï Lama lui-même reste serein quand il pense à son propre peuple qui est persécuté. Évidemment, il met tout en oeuvre pour empêcher la chose, mais ressentir de la colère n’apporte rien. Ça le rendrait juste plus malheureux.
c) La douleur
La douleur, c’est un message qu’on reçoit. La souffrance, c’est notre interprétation de ce signal. Un vieil adage bouddhiste dit que lorsqu’on reçoit une flèche, on est blessé deux fois : au moment où l’on se prend la flèche, et au moment où on pense à la douleur provoquée par la flèche. D’ailleurs, les grands méditants sont moins sensibles à la douleur que le commun des mortels. C’est parce qu’ils méditent leur douleur. Dans plusieurs traditions bouddhistes, le méditant est invité à ne pas bouger quand il ressent une douleur (mal au dos, mal au genoux…). Ces douleurs sont les bienvenues : ce sont de parfaits objets de méditation. Si j’ai mal au dos, alors je peux me concentrer pleinement sur cette douleur.
Une question intrigante est : “mais d’où exactement provient-elle?” Plus je me concentre sur le point d’origine de cette douleur, plus ma douleur va me paraître diffuse et vague. Le Dalaï Lama parle “d’accepter sa douleur”. Mon corps m’envoie des signaux désagréables, mais ce n’est pas grave.
D’ailleurs ces méditations ont un autre bénéfice, souligné par Thich Nhath Hânh avec humour : quand on a mal à la dent, on souhaite vraiment ne plus avoir mal à la dent. Mais quand on n’a pas mal à la dent, pourquoi ne se réjouit-on pas ?
Réaliser qu’une douleur n’est pas grave, ne pas être attaché à sa non-douleur, c’est pouvoir profiter pleinement et réaliser la chance que l’on a d’avoir un corps sain. C’est aussi accepter que petit à petit ce corps va se dégrader, mais que ce n’est pas grave.
On a donc une multitude d’occasions au quotidiens de s’exercer à être plus détaché, à ne pas trouver les choses graves. Je suis ouvert à toute critique, peut-être que mon modèle est trop simpliste, et qu’il est parfois bénéfique de réagir avec émotion à un événement que l’on trouve grave.
Dans le prochain article, je présenterai quelques points de science qui montrent comment, de toute manière, les circonstance extérieures influent peu sur notre bien-être (à long terme). Puis je présenterai la chose ultime à ne pas trouver grave : sa propre mort.
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