Exercice de pensée : tentez de vous remémorer ce qu’il s’est passé dans votre tête il y a quelques secondes. Au moment où vous avez lu le titre de cet article. Peut-être que le mot “féminisme” a déclenché en vous une légère méfiance ou bien justement une légère satisfaction.
Un débat cristallisé
Généralement, le mot féminisme ne laisse plus les gens indifférents. Parce que le débat sur le féminisme est un de ces débats que le sociologue Daniel Kahan appelle un débat cristallisé. Ce qui veut dire que c’est un des sujets de société sur lequel les gens construisent leur identité. En gros, si on est progressiste on est féministe, si on est conservateur on n’est pas féministe.
Aux US, Daniel Kahan a étudié la question des armes à feu, du créationnisme et du réchauffement climatique qui sont les exemples phares de débats de ce genre. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que sur ces sujets les individus sont franchement moins rationnels que sur des sujets plus techniques et moins palpitants.
Sur les débats cristallisés :
- nous avons moins tendances à croire les experts ;
- notre opinion est façonnée par notre appartenance politique ;
- nous sommes moins capable d’évaluer objectivement des arguments qui soutiennent l’opinion opposée à la notre.
Pourquoi c’est grave que le féminisme soit cristallisé
Le problème avec ça, c’est que dans ce genre de débats, nous sommes moins constructifs.
On a une fâcheuse tendance à réagir aux derniers faits divers (l’individu qui déclarait “je suis une femme”, la dernière phrase bête de Marlène Schiappa, une femme qui a aspergé un manspreadeur de javel (qui était une fausse info, d’ailleurs)…) plutôt que d’analyser le fait en profondeur.
Parce qu’on rentre dans une logique de camps : c’est eux (les féministes) contre nous. Il m’est déjà arrivé qu’une personne arrête d’écouter mes arguments en me traitant de “social justice warrior”. Elle a identifié que j’appartenais à l’autre camp du débat cristallisé, et il ne servait plus à rien de parler avec elle.
Mes concessions
Alors pour minimiser tout débat sans fin, je vais formuler ici ce que je veux dire quand je dis que je suis féministe. En fait je pense que la plupart des gens qui ne sont pas féministes ne le sont pas parce qu’ils tombent dans le piège du débat cristallisé.
Peut-être pensez-vous qu’être féministe, pour vous, ça veut dire vouloir :
- la parité parfaite dans tous les secteurs d’emploi
- la suppression du concept de genre
- interdire aux hommes de parler aux femmes dans la rue sans une autorisation écrite préalable…
Étudiez minutieusement les derniers débats que vous avez eu sur la question du féminisme. Si vous tombez dans des généralisations comme celles que je viens de citer, je vous invite à vous poser des questions. “Est-ce que je n’ai pas jugé mon interlocuteur parce qu’il ne correspondait pas à mon identité politique ?” “Est-ce que je lui ai vraiment porté une attention dénuée de jugement ?“
Je sais qu’il m’arrive aussi de tomber dans ces travers. Quand Macron sort une de ses phrases chocs à l’encontre des pauvres, des chômeurs ou des migrants, je me réjouis intérieurement parce que, à mes yeux, cela montre bien qu’il appartient à l’oligarchie et donc qu’il est contre moi. Mais ces phrases ne contribuent en soi à aucun débat, et pour faire preuve d’esprit critique, il faudrait les ignorer.
A toi, qui n’aime pas les féministes
La phrase que j’entends très fréquemment, c’est que les féministes sont trop véhément.e.s. Et ce que je pense qu’il se passe dans la tête des anti-féministes, c’est qu’ils ont de très nombreux exemples de féministes qui ont exagéré dans leurs propos, dans leurs actes.
Mais gare au biais de confirmation. Dans tous les camps politiques il y a des demandes abusives ou agressives. Est-ce que les féministes sont plus véhément.e.s que les nationalistes, les néolibéraux, les communistes, les anarchistes, les LGBT, les végans, les gilets jaunes?
Je ne le pense pas. Et je suis ouvert à toute preuve ( = étude scientifique) qui montrerait que les féministes sont plus agressif.ve.s que d’autres groupes.
Ce dont je veux vous convaincre (si vous n’aimez pas les féministes, hein), c’est qu’en réalité vous êtes probablement d’accord avec la majorité des causes que les féministes défendent. Simplement comme elles sont sous l’étiquette du féminisme, vous réduisez leurs propos à des demandes exagérées ou irréalisables.
Parce que, être féministe, c’est juste demander que la société traite également les hommes et les femmes (comme lutter contre une cause raciste, par exemple). Or, sur de nombreux points, les femmes souffrent du simple fait de leur sexe (et les hommes aussi d’ailleurs, dans le fond je pense que les deux genres gagneraient à une société plus juste).
Y a des exemples plutôt objectifs. Oublions un instant le mot “féministe”, parce que si vous pensez être anti-féministe vous allez tiquer. Simplement, il y a des faits basés sur une différence de sexe qui sont regrettables. Je pense que tout le monde, “féministe” ou pas, préfèrerait que les femmes soient moins victime :
- d’agressions sexuelles
- de la sexualisation de leur corps (bien pire que pour l’homme)
- de discriminations à l’embauche
- d’un manque de rôles féminins forts dans le cinéma
- …
Conclusion
Je n’ai pas tout cité et je n’ai pas donné toute mon opinion sur la question du féminisme.
Mais quelque soient vos opinions, le propos principal de cet article est le même. La prochaine fois que vous tombez dans un débat, essayez de :
- ne pas juger l’autre de par son appartenance politique ;
- trouver sur quels points vous êtes d’accord avec votre interlocuteur ;
- ne pas mettre sur la table les cas où d’autres membres du “camp” de votre interlocuteur se sont ridiculisés ;
- comprendre vraiment le fond de la théorie de votre interlocuteur.
Evidemment cet article est vrai pour tout débat. J’ai juste choisi le féminisme parce que c’est peut-être en France l’un des débats les plus cristallisés (avec les vegans, les gilets jaunes et la politique politicienne).
Or, la cristallisation tue l’intérêt du débat, et c’est donc un énorme obstacle dans le développement de votre esprit critique.
1 commentaire
Salut
Tu apprécies aussi le Kriss Papillon?
Alors, je suis femme, qui se disait féministe, et qui aujourd’hui est passablement, comment dire, déçue? par le féminisme.
Le féminisme est une bullshit.
Pourquoi?
Simple. Il ne fallait pas demander l’égalité, mais demander à ce que notre spécificité de femme soit reconnue et respectée (my authority).
Exemple? Pas forcément travailler à salaire égal, mais recevoir un salaire, que l’on travaille ou pas, pour avoir le choix d’allaiter pendant 2 ans, de mettre les enfants à l’école ou pas, etc… Mal au ventre? Ok, pas de problème, reste chez toi…
Ence qui concerne, je te cite :
“Je pense que tout le monde, “féministe” ou pas, préfèrerait que les femmes soient moins victime :
d’agressions sexuelles
de la sexualisation de leur corps (bien pire que pour l’homme)
de discriminations à l’embauche
”
Bien sûr! Mais il y a tellement à dire encore…
Alors je sors mon sein, et j’allaite quand bébé à faim.
Delph