La foi est une méthode effroyable de s’assurer d’une vérité.
Ça fait quelques années que je m’intéresse à l’esprit critique, et depuis un an je m’intéresse plus précisément à l’épistémologie, la science du savoir. Ça sonne pompeux comme ça, mais c’est une des sciences qui a le plus marqué mon quotidien.
Comment sait-on ce qu’on sait ?
Et comment peut-on être certain que c’est vrai ?
L’exemple de Dieu
Je suis toujours horrifié de voir à quel point de nombreux croyants sont absolument certains que Dieu existe. Alors que les preuves tangibles et concrètes de son existence sont globalement nulles. Les arguments que j’entends le plus fréquemment rentrent généralement dans deux catégories.
La première famille de croyants se base sur la foi. La foi, c’est croire sans preuve à Dieu et accepter qu’on n’a aucune preuve.
La foi est une méthode effroyable de s’assurer d’une vérité.
Les autres arguments souvent employés par les croyants se basent rarement sur des phénomènes mesuré, observés et validés. Plutôt, ils reposent sur ce qui est à mon avis le plus gros problème chez l’homme et sa relation au savoir.
En une phrase, on pourrait le résumer par :
- Quand quelqu’un fait une affirmation, les arguments sur le pourquoi de l’affirmation, on s’en fout.
Tout ce qui compte, c’est pourquoi il croit cette affirmation vraie.
Les pattes du chien
Prenons un exemple simple. Monsieur Dupont affirme qu’un chien a quatre pattes. Vous écoutez ses justifications sur cette affirmation pour savoir si vous êtes d’accord avec lui.
- Mauvaise justification : “Un chien ça a quatre pattes, parce que cela lui permet d’être équilibré pendant sa course”
- Bonne justification : “Un chien ça a quatre pattes, j’ai vu plusieurs chiens à quatre pattes dans ma vie.”
La première justification est une explication sur le pourquoi de l’affirmation, la deuxième justification se réfère à une vérité extérieure et élabore pourquoi monsieur Dupont croit qu’un chien a quatre pattes.
Pourquoi la première affirmation est-elle inutile ? Parce qu’on peut produire des justifications comme ça pour n’importe quelle affirmation. Exemple :
- “Un chien ça a trois pattes. C’est assez pour courir, et c’est plus léger à transporter que quatre pattes. Donc c’est plus performant”.
Amusez-vous à créer des justifications “crédibles” sur le pourquoi avec n’importe quelle théorie, et vous développerez une vigilance à ces mauvaises justifications.
Un argument utile présente des données et des éléments externes à la proposition, qui ne peuvent pas sortir simplement de l’imagination de la personne la formulant.
Exemples de mauvais arguments
Disclaimer : ceci ne représente pas ma vraie opinion.
- L’immigration est un fléau, parce que ça prend des emplois aux travailleurs locaux.
- L’immigration est une bénédiction, parce que ça créé un brassage culturel.
- Dieu existe, parce que c’est le seul moyen d’expliquer l’existence de notre univers complexe.
- Dieu n’existe pas, parce qu’il y a trop de guerre et de destruction sur notre Terre.
Ces arguments n’ont aucun intérêt. L’une des chercheuses de pointe en la matière, Deanna Kuhn, les définit même comme des non-arguments. Ils n’apportent aucun élément de savoir parce qu’ils ne se réfèrent jamais à des éléments externe à ce que la personne qui les formule imagine dans sa tête.
Voici une reformulation de ces affirmations suivies de vrais arguments :
- L’immigration est un fléau, car d’après telle source, on constate que l’augmentation de l’immigration entraîne une augmentation du chômage chez les travailleurs locaux (attention : je n’en sais rien).
- L’immigration est une bénédiction, parce qu’on constate la naissance de courants artistiques qui n’auraient jamais vus le jour sans, comme par exemple …
- Dieu existe, parce que de nombreux phénomènes observés comme tel et tel miracle ont eu lieu suite à des interventions religieuses (attention : je ne crois pas que ce soit vrai).
- Dieu n’existe pas, parce qu’aucun phénomène “miraculeux” inexplicable n’a été observé et mesuré de manière fiable.
Un argument utile présente des données et des éléments externes à la proposition, qui ne peuvent pas sortir simplement de l’imagination de la personne la formulant. Et plus il y a d’éléments extérieurs – de données, de références, de noms, de dates – plus l’argument est fiable, ou au moins vérifiable car ces données externes sont vérifiables.
On se fait tout le temps avoir, moi le premier
Il semblerait qu’il vaut mieux courir avec soit des chaussures usées, […] soit carrément pieds nus.
Une fois qu’on a développé une vigilance aux arguments pipeau, on n’a jamais fini de se remettre en question. J’ai découvert il y a trois semaines que je me faisais avoir sur une théorie qui me paraissait couler sous le sens :
Pour courir sans se blesser, il faut des baskets avec de bons amortisseurs.
Ça paraît tellement logique. Il faut des amortisseurs, parce qu’ils limitent l’impact du choc entre le talon et le sol. Notez que cette justification, je l’ai écrite sans me rattacher à quelque élément extérieur que ce soit. Je l’ai rédigé assis à mon bureau sans sortir de source extérieur à cet argument.
Ni référence scientifique, ni témoignage personnel, ni avis d’expert. Je me suis rendu compte que je croyais ça parce que c’est ce que mon entourage me disait, c’est ce que les vendeurs me disaient et c’est ce que les publicités me disaient.
À ce stade, il s’agit d’une croyance collective.
Mais, pour y croire, il faut la confronter au réel et la tester. En fait en lisant la littérature sur le sujet on apprend que la question des amortisseurs des chaussures est bien plus compliquée que ce qu’on croit. Il semblerait qu’il vaut mieux courir avec soit des chaussures usées, soit des chaussures sans amortisseur, soit carrément pieds nus. Si ça vous surprend tant mieux : je vous invite à lire la page wikipédia sur le thème. D’ailleurs de nombreux coureurs évitent les chaussures amorties chères, y compris dans la sphère professionnelle. Pour les courses longues, pas pour le sprint.
J’ai commencé la course à pied en me basant sur une croyance que j’avais. Cette croyance se basait sur des non-arguments. Dire “un amortisseur sous le talon ça limite les chocs”, sans citer de source, ça n’apporte pas d’éclairage sur la véracité du propos. Je pourrais vous dire “un amortisseur c’est moins bien parce que ça atténue la proprioception”, sans que ça n’ait aucune valeur non plus. Parce que je ne me réfère à aucun élément extérieur.
Un nouveau monde
Ça semble déprimant mais c’est en fait une chouette nouvelle. En développant sa vigilance aux non-arguments, on redécouvre le monde sous un nouvel angle. On apprend à se rappeler du pourquoi on croit en une théorie et pas une autre. Et, surtout, on devient prêt à laisser tomber une croyance sous présentation de meilleures preuves. Personnellement, je cours fréquemment pieds-nus et je n’ai aucune douleur ni aux tendons ni aux genoux. Juste une douleur à mon ego qui a cru aveuglément en une théorie, sans aucune justification.