Dans la websérie Mindfield, un YouTubeur accepte de se faire enfermer trois jours complets dans une cellule. Durant cette période il est seul et il n’a accès à aucun divertissement. Pire encore : les lumières restent allumées, si bien qu’il n’a pas de repère temporel.
Cette expérience est riche en enseignements. Au bout de 12h, Michael Stevens perd complètement la notion du temps, au point qu’au bout de deux jours, il croit que trois jours se sont écoulés. Et durant ces trois jours, il souffre le martyr. L’ennui est pesant, et après sa première “nuit” il sombre dans une léthargie durant laquelle il perd la raison au point de ne plus savoir compter et au point d’être complètement désorienté. Je vous invite à regarder cet épisode (lien de l’épisode ici). En plus, YouTube Premium est gratuit le premier mois.
Cet exemple est extrême. Grâce à lui, j’ai compris à quel point nous sommes allergiques à l’ennui. Ce que je pense, c’est même que notre aversion à l’ennui est l’un des moteur principaux de notre malheur. C’est pourquoi il est indispensable de s’entraîner activement à s’ennuyer.
Un manque de stimulation
Nous avons tous une habilité à retenir une certaine quantité d’informations pendant un cours laps de temps. Quand nous retenons des informations (visuelles et auditives) afin d’exécuter une tâche, nous utilisons notre mémoire de travail. Que ce soit pour faire nos courses, résoudre un problème mathématique ou répondre à un mail, toutes les informations factuelles dont nous avons besoin sont stockées temporairement dans cette mémoire de travail. Elle est de relativement faible capacité (on parle parfois de 7 à 9 informations simultanées maximum). Quand j’ouvre mon frigo et que je ne sais plus ce que je cherchais, c’est dû à une surcharge de la mémoire de travail : comme je réfléchissais à plusieurs choses simultanément, ma mémoire sature et certaines informations sautent.
Quand je regarde une série télévisée, ma mémoire de travail est bien plus occupée que quand je lis un livre. C’est ça qui rend la vidéo distrayante. Comme notre mémoire de travail est saturée par le flux d’informations, on est complètement captivé. On est passifs cognitivement. Alors que si je lis un livre, je dois fournir un effort cognitif supplémentaire pour rester investi dans ma lecture. C’est pour ça d’ailleurs que certaines personnes lisent moins. Elles ont perdu l’habitude de fournir cet effort cognitif plus élevé que quand ils regardent un flim.
L’ennui moderne
Le problème, c’est que l’on s’habitue vite à une stimulation cérébrale intense. Aujourd’hui il est possible de passer sa journée – du lever au coucher – sans aucun moment d’ennui. Grâce au smartphones et à Internet, je peux constamment me divertir sur les réseaux sociaux, sur YouTube ou avec des jeux vidéos. Personnellement, quand je suis dans une période un peu plus difficile j’ai mon propre vice : les échecs. Si je créé un compte lichess (un site de jeu d’échecs en ligne), je peux jouer des parties de 3 minutes en boucle. Les parties de 3 minutes sont des parties très intenses cognitivement comparées à des parties de 10 minutes. Et pourtant, si je ne m’abstiens pas, je peux jouer des heures d’affilée sans jamais m’ennuyer. De plus, les pics de dopamine déclenchés par des victoires rendent l’activité encore plus addictive.
Le première conséquence évidente est notre besoin grandissant de stimulation. Je connais une personne qui, pendant qu’elle regarde une série, sort son smartphone et joue à un jeu car elle s’ennuie. Mais ce blog n’est pas un blog de réactionnaire, alors je ne vais pas faire un laïus sur les-smartphones-qui-tuent-notre-société. Je pense qu’il y a des conséquences plus néfastes à la peur de l’ennui.
Un problème philosophique
Dans le livre Un roi sans divertissement de Jean Giono, le capitaine de gendarmerie Langlois vit des aventures palpitantes dans un petit village montagnard du Vercors. Et puis, quand tout est terminé [ATTENTION SPOILER], devant l’ennui de sa nouvelle vie casanière, il se suicide en fumant un bâton de dynamite [FIN DU SPOIL]. Le roman se clôt sur une citation qui m’est très chère :
Un roi sans divertissement est un homme plein de misère
L’activité donne une raison à notre vie. Dans une petite communauté (une entreprise, une association) où je suis utile et reconnu pour mon travail, il est agréable de m’investir. La vie en petite communauté est bénéfique, certes. Mais être constamment en activité nous éloigne d’une vérité dure : l’univers est indifférent à notre vie. Si on ne construit pas sa vie activement autour de cette vérité, alors l’ennui est menaçant. Parce qu’il nous renvoie à notre condition.
Albert Camus a écrit un essai sur Sisyphe, le héros grec qui a été condamné par les dieux à pousser un rocher en haut d’une montagne perpétuellement. D’après Camus, Sisyphe devrait se réjouir de sa situation. Car il n’a qu’une chose à faire. Il n’a pas de dilemme, pas de doute sur sa vie. Pour être heureux, il n’a qu’à déployer toute son énergie à une seule mission : accepter sa situation pour être heureux.
Exercez-vous à l’ennui
Nous ne sommes pas condamnés à pousser un rocher jusqu’à la fin des temps. Nos problèmes de la vie quotidiennes sont globalement plus simples. Mais un des pièges, c’est de croire que le but de la vie c’est l’activité. Le Dalaï-lama Lama médite quatre heures par jour. Quatre heures qu’il passe à ne rien faire. D’autres yogis en Inde et au Tibet sont célèbres parce qu’ils passent la plus grande partie de leur temps assis à méditer. Cet idéal n’est pas du tout mis en avant en occident, à tort je pense.
En effet, si un individu s’épanouit en restant assis dans une pièce pendant des heures et des heures, si il ne voit pas le temps passer et qu’il est serein, alors je pense qu’il est vraiment libre. Alors, même sans divertissement, il ne sera jamais plein de misère.
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[…] un article précédent je parlais justement de l'ennui. L'ennui est une forme d'irritation plus ou moins intense liée au […]