Pendant le campagne présidentielle de 2017, je me suis saigné à blanc dans de très nombreux débats sur Facebook, parce que les débats sur Facebook n’ont en fait aucun intérêt, ce que je ne savais pas à l’époque (vidéo intéressante là dessus ici).
J’essayais de convaincre les autres (ou en derniers recours d’avoir le dernier mot).
Et puis j’ai compris qu’en fait les gens en face essayaient de faire pareil, et que donc ça n’aboutirait à rien par définition.
Avec le temps je me suis dit que peut-être que le mieux que je pouvais en tirer, c’était d’apprendre des choses, et là de nombreuses questions se sont posées.
Comment croire quelqu’un? Est-ce que je dois prendre en compte son opinion?
Depuis j’ai découvert le bayesianisme. Cette philosophie formalise ce que je crois être la meilleure façon de quantifier le crédit qu’on donne à quelqu’un, ou à toute théorie en général.
Dans cette série d’article je vais montrer comment formaliser ses connaissances (au moins grossièrement) permet d’avoir une meilleure appréhension du monde.
Bayes en deux mots
Le youtubeur Hygiène mentale présente très bien le bayesianisme dans cette vidéo. Sans présenter les détails mathématiques, l’idée fondamentale est qu’on assigne une probabilité à un événement ou a une information. Par exemple, je pense qu’il y a 0.1% de chance que Dieu existe (les bayésiens préfèrent écrire sous forme de “cotes”, donc 1 que Dieu existe pour 999 qu’il n’existe pas, noté 1:999, mais que je vais arrondir à 1:1000 – plus d’infos sur cette notation dans cet article en anglais). C’est ce qu’on appelle une crédence bayésienne. Au tout départ, cette probabilité a forcément un caractère subjectif. Néanmoins, exprimer les phénomènes sous forme de probabilités :
- permet de mieux communiquer avec d’autres personnes.
Par exemple, dire à quelqu’un qu’il y a 70% de chances que je vienne à sa soirée est bien plus explicite que de dire que je vient ‘probablement’. Liv Boeree explique ce concept dans une conférence ted. ‘Probablement’ peut vouloir dire 50% de chances pour certaines personnes, et 90% de chances pour d’autres. - permet de mieux anticiper toutes les issues possibles. Quand j’estime qu’un de mes amis à 70% de chances de venir, cela signifie que – dans le monde idyllique ou je peux rejouer la soirée autant de fois que je veux – il ne viendra pas en moyenne 3 fois sur 10. Si j’organise une soirée jeux de société où j’aimerais d’avoir un nombre précis de joueurs, je peux prendre en compte cette information dans le nombre d’invitations que j’envoie. J’en reparlerai plus tard lorsque je reviendrai sur les travaux de Nassim Nicholas Taleb, mais dans de nombreux domaines – notamment en économie – considérer qu’un phénomène qui a très peu de chances d’arriver n’arrivera pas est une très grave erreur.
La force du Bayésianisme, c’est qu’une fois que je commence à penser en terme de crédences bayésiennes, je vais pouvoir les combiner entre elles et mettre à jour mes crédences en présence de nouvelles informations (selon le théorème de Bayes).
Reprenons l’exemple de Dieu qui – selon moi – a 1:1000 chances d’exister. Si cette année un miracle a lieu je vais pouvoir mettre à jour cette crédence. Si devant un comité de chercheurs et de prestidigitateurs assermentés, un homme marche sur l’eau en clamant qu’il est le nouveau fils de Dieu, alors peut-être qu’il s’agit d’un miracle. Evidemment il se peut aussi que ce soit quand un escroc qui arrive à berner une multitude de scientifiques (c’est déjà arrivé, histoire incroyable mais vraie). Si j’estime qu’il y a 2:1 que ce soit un phénomène divin, alors je dois réviser ma crédence bayésienne. Concrètement, avec cette notation en cotes c’est très simple.
crédence a priori × probabilité de la nouvelle donnée = crédence a posteriori ⇔ proba que le miracle observé soit divin × proba précédente que Dieu existe = Nouvelle proba que Dieu existe ⇔ 2:1 × 1:1000 = 2 : 1000
Ainsi, comme avant je croyais qu’il y avait très peu de chances que Dieu existe, même le miracle qui a 2 chances pour une d’être divin (2 pour 1, ce n’est pas beaucoup en terme bayésiens), alors je met à jour la crédence que Dieu existe mais elle n’a pas beaucoup évolué en absolu. Le théorème de Bayes est une formule simple mais aux conséquences très profondes et diversifiées, et elles sont mieux détaillées dans le super livre de Lê Nguyên Hoang.
Le Bayésianisme : et en vrai, on l’utilise comment?
Évidemment, il n’est pas possible de raisonner de la sorte constamment (mais il est bon d’essayer de s’en rapprocher). Cependant, le bayesianisme permet de formaliser une façon de donner du crédit à une personne ou a un argument donné.
Il existe moult exemples des pièges que le bayésiansime permet d’éviter (diagnostique les maladies rares est difficile, le problème de Monty Hall …) . L’Inria avait montré un autre bon exemple quand Emmanuel Valls a instauré la surveillance d’Internet pour “arrêter des terroristes”.
Mettons que j’aie un algorithme (presque) parfait qui détecte 99% des messages que s’envoient les terroristes sur Internet (comme ils sont bêtes, ils communiquent sans chiffrer leurs messages). Aussi, cet algorithme aura 1% de faux positifs. Notons que ces 99% et 1% sont des chiffres très optimistes.
D’après Wikipedia, il y aurait 850 fichés S pour djihadisme en France, arrondissons à 1000. Il y a aussi environ 60 millions de Français, à la louche.
L’algorithme conçu par le gouvernement sur les 60 millions de Français, va donc en marquer 600 000 comme “terroristes” (1%). Il va aussi marquer 990 des vrais terroristes comme des terroristes. Donc, au final, 600 990 personnes seront considérées par l’algorithme comme des terroristes, et donc il sera très très difficile de trouver les bonnes aiguilles dans cette botte de foin, dont 1 sur mille seront des vrais positifs.
Cette analogie montre que ce que je crois sur une théorie dépend forcément de ce que je croyais avant. Comme nous le verrons dans ce blog, il faut se baser sur les croyances à priori pour mettre à jours ses théories.
En conclusion : comment croire quelque chose ?
Le message important de ce post, c’est :
- qu’on se créée (consciemment ou pas) des théories sur le monde, et qu’il est important de quantifier la croyance qu’on a en ses théories, par le billet de probabilités au moins approximatives.
- qu’on peut combiner ces crédences entre elles, et que le faire formellement permet de ne pas tomber dans certains pièges.
Dans la suite de ce blog, nous étudierons quelles crédences donner à quelles preuves d’une théorie, et par extension comment croire quelqu’un ou pas.
PS : Un grand merci à David Bagatta pour les coquilles relevées!