Avant de lire ce livre, je pensais : la chasse, c’était une activité un peu beauf, il y a des abus qu’il faut réglementer. Par contre, les chasseurs sont indispensables, étant donné qu’on a de nombreuses espèces qui font des dommages et qu’il faut réguler tout ça.
Après avoir lu le livre, j’ai la conviction que ce n’est pas un hasard si je pense ça. Que les chasseurs sont très nombreux et très influents en France, et un peu comme un apolitique qui récite des mantras libéraux sans s’en rendre compte, je me rends compte que je récitais les mantras pro-chasse dont l’inconscient collectif est imbibé suite aux coups de comm’ des chasseurs.
L’argument de la régulation, c’est du pipeau. Les trois quarts du gibier chassé en France est composé d’oiseaux, qui ne doivent pas être régulés. Parmi le quart restant, les mammifères, la plupart ne fait pas de dégâts. À noter que parmi ces oiseaux et ces mammifères, la plupart d’entre eux a une population qui décroît chaque année. Pas à cause des chasseurs, mais il n’y a pas besoin que les chasseurs contribuent à cette décroissance. Pour ce qui est des “ongulés”, c’est à dire les cervidés et les sangliers, ils ne représentent que 5% du gibier abattu en France. Et parmi ces ongulés, certes la population des cervidés croît chaque année en France, mais les conséquences de cette croissance sont minimes, car une forêt peut supporter la pression écologique exercée par des cervidés qui mangent simplement les petits arbres. D’ailleurs les troupeaux de milliers de moutons exercent une pression bien plus forte sur le territoire quand ils passent. Autrefois les forêts françaises devaient supporter la pression exercée par des animaux bien plus massifs, comme les bisons d’Europe ou les aurochs. Et les forêts se portaient bien.
Enfin reste le fameux sanglier, 2% du gibier chassé, qui est le pain béni des chasseurs. Le sanglier est le seul animal qui cause des dommages notables, plusieurs dizaines de millions d’euros par an. Cependant ces millions ne sont pas répartis homogènement dans nos forêts et nos champs : 2% des surfaces agricoles françaises concentrent 75% de ces dommages. Il s’agit des champs de maïs. Sous prétexte que nos fermi·er·ère·s veulent cultiver leur maïs en paix, les chasseurs ont carte blanche pour chasser le sanglier quasiment partout en France, et se donnent ainsi leur fameuse image de régulateur de nos forêts. Oui le sanglier est le seul animal causant vraiment des dommages sur nos territoires, mais il existe mille solutions pour éviter cela. Les agriculteurs peuvent clôturer efficacement leurs champs de maïs (il le font déjà, il faut juste les soutenir plus), on pourrait constituer un corps de fonctionnaires en charge d’une régulation efficace des sangliers en France, et évidemment on pourrait se questionner sur la monoculture intensive de maïs qui sert essentiellement à nourrir le bétail, et remettre ainsi notre alimentation en question. La seule solution au sanglier n’est pas de donner des permis et des fusils à plus d’un million de chasseurs.
Voilà. Maintenant que ce faux argument de la régulation est mis de côté, rien pour moi ne justifie qu’on autorise la chasse en France. Dans l’ouvrage, la puissance politique des chasseurs est désespérante : les préfet·es, président·es de région et autres maires les soutiennent bien souvent. Au point où les associations et fédérations de chasseurs sont même impliquées dans la gestion des parcs naturels, ce qui est un contresens nauséabond. Les chasseurs communiquent énormément sur leurs actions de protection de l’environnement, pour s’accaparer le statut de “premiers écologistes de France”, mais naturellement le fait de protéger l’environnement n’est pas lié au fait de chasser. Un·e surfeu·se·r qui organise une collecte de déchets sur une plage ne dira pas que “le surf protège l’environnement”. D’autant que les chasseurs répandent plusieurs milliers de tonnes de plomb dans la nature chaque année. Et je dois aussi mentionner les pratiques cruelles, qui restent légion. On peut citer pêle-mêle la chasse à courre où des chiens pourchassent une bête jusqu’à épuisement ; le piégeage où animaux meurent lentement de froid, blessés ; l’usage d’animaux qu’on blesse et qu’on attache pour appâter d’autres animaux ; la chasse en enclos… Et sans compter les nombreux témoignages de pratiques cruelles de chasseurs individuels. Ainsi, il est arrive qu’un chasseur ayant piégé un animal dans une cage noie cette animal dans l’eau pour l’achever, pour gagner du temps.
Enfin il reste l’argument moral, qui pour moi est fondamental. D’après l’auteur, qui met plusieurs études pour étayer son propos, il y a une corrélation claire entre la tolérance envers la souffrance animale et la tolérance à la souffrance humaine. C’est la raison principale pour laquelle je suis devenu végétarien cette année : je pense qu’un monde où il est immoral, abject, et donc inenvisageable de faire du mal au moindre animal est un monde qui pourrait être globalement plus pacifique et bienveillant. Pour les curieux, le livre “les dépossédés” de Ursula le Guin dépeint ainsi une utopie anarchiste dans laquelle la non-violence est tellement ancrée dans l’inconscient collectif que personne n’y a recours. Un premier pas vers ça, c’est pour moi d’arrêter d’abattre des animaux pour le plaisir.
PS : je n’ai pas écrit les chasseurs en écriture inclusive, parce que 97% des chasseurs sont des hommes. Ça c’est un autre point qui me scandalise, car je ne connais pas d’autre groupe social aussi ostensiblement sexiste, mis à part les prêtres.