J’avais préparé un article sur la course pieds-nus cette semaine, et puis les choses ont changé. J’ai pris la décision folle d’arrêter de courir pieds-nus en ville en période d’épidémie, et donc je réserve mon article pour des jours meilleurs. Aujourd’hui nous sommes tous en confinement. Pour la plupart d’entre nous, cela signifie très peu de sorties par jour et c’est une situation inédite.
Ennui en perspective
Dans un article précédent je parlais justement de l’ennui. L’ennui est une forme d’irritation plus ou moins intense liée au manque d’activité, de sens ou de divertissement. Dans notre société contemporaine, nous essayons généralement d’éviter l’ennui. Plus largement, il est largement montré qu’un être humain a une aversion naturelle envers l’ennui. D’ailleurs, un être humain, s’il n’a rien à faire pendant quelques dizaines de minutes, peut aller jusqu’à s’infliger un électrochoc douloureux pour tuer le temps. L’isolement peut même traumatiser un individu qui y est confronté de manière prolongée.
Plusieurs traditions philosophiques (les bouddhistes, les essentialistes, les cyniques…) en sont venus à la conclusion que l’épanouissement de l’homme proviendrait justement de la confrontation à l’ennui. Car même un roi sans divertissement est un homme plein de misère. Gagner en sagesse, c’est donc apprendre à dompter l’ennui par le biais de la contemplation, la méditation et la réflexion. C’est ainsi que de nombreux ermites, que ce soit les starrets russes, les pères du désert ou les cyniques ont choisi la vie éloignée de la société et dénuée de biens matériels (une vie de chien), et je pense aussi que c’est l’idéal à atteindre pour vivre une vie heureuse.
L’urgence
Pour ce qui est de la solitude je ne pense pas qu’elle soit indispensable. Hendy David Thoreau, un des grands noms de l’ermitage, a écrit : «J’avais dans ma maison trois chaises : une pour la solitude, deux pour l’amitié, trois pour la société», et je pense que cela résume la bonne attitude à adopter pour aller vers la sagesse. Les relations sont très importantes, mais je pense qu’il faut se concentrer sur les relations pures. Celles où l’on se dévoile et l’on partage intimement avec une personne pour pouvoir en tirer des émotions sincères et se voir grandi. D’expérience, ces moments ont plus souvent lieu à deux.
Le problème, c’est que cette semaine nous sommes plongés de force dans une solitude forcée. Même si l’on vit en couple ou en collocation, nous avons été écartés de la société. Et cet isolement va forcément générer une forme d’ennui. Malheureusement il est trop tard pour devenir un sage méditant d’ici le début du confinement. Pour ça il nous faudrait plusieurs années supplémentaires. Alors on a plusieurs façon de gérer cet événement. On peut : se laisser aller à une vie de débauche en consommant séries, bouffe et autres divertissements / être flex en tentant autant que faire se peut de maintenir son activité professionnelle / multiplier les liens sociaux distants pour briser l’isolement… Je ne sais pas quelle est la meilleure vie en confinement, et je n’ai pas trouvé d’ouvrage sur le sujet.
Mais une chose est sûre : il ne faut surtout pas être trop optimiste.
Le piège de l’optimisme
James Bond Stockdale (c’est son vrai nom) est un des soldats américains les plus décorés de l’histoire. Au Vietnam, il était prisonnier de guerre pendant sept ans, durant lesquels il a fait preuve d’une volonté hors-norme. Il a coaché ses camarades de cellules pour leur apprendre à gérer la torture que lui-même subissait fréquemment. Et, la veille d’un passage à la télé vietnamienne, il s’est volontairement défiguré avec une lame de rasoir afin que l’on ne puisse pas le présenter comme preuve du bon traitement des prisonniers de guerre. C’est un modèle de persévérance, et l’auteur américain Jim Collins s’est servi de son histoire pour mettre en avant le paradoxe de Stockdale.
Dans la vie il est évidemment très important d’être aussi positif que possible et de chercher à bâtir une vie heureuse. Mais, en prison, Stockdale a constaté que les prisonniers qui souffraient le plus étaient les prisonniers les plus optimistes. Et ce pour une raison simple. Un prisonnier optimiste se base sur ses espoirs pour garder le moral. En début d’incarcération, il ira bien car il se dira « je sortirai d’ici noël, tout ira bien » . Mais les espoirs ont une limite, et à force d’être brisés, le moral finit aussi par être brisé. La lucidité est un meilleur allié.
Heureusement nous ne sommes pas des prisonniers de guerre. Mais le confinement que nous vivons demande de se préparer correctement. Car en pratique, personne ne sait vraiment combien de temps nous resterons confinés. Pour être heureux en cette période, il faut éviter de se baser sur ses espoirs. Ne nous hâtons pas, car le confinement durera peut-être plus longtemps que l’on croit. Il vaut mieux se concentrer sur le moment présent et partir du fait que ce confinement va durer indéfiniment. Être positif, c’est apprendre à se reposer sur ce que l’on a pour être heureux. Être optimiste, c’est faire un emprunt sur notre bonheur futur.